MADAME JOURDAIN.-Ah, ah, voici une nouvelle histoire. Qu'est-ce que c'est donc, mon mari, que cet équipage-là ? Vous moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous ?
MONSIEUR JOURDAIN.-Il n'y a que des sots, et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi.
MADAME JOURDAIN.-Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le monde.
MONSIEUR JOURDAIN.-Qui est donc tout ce monde-là, s'il vous plaît ?
MADAME JOURDAIN.-Tout ce monde-là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre maison. On dirait qu'il est céans carême-prenant [1] tous les jours ; et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé.
NICOLE.-Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers de la ville, pour l'apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours.
MONSIEUR JOURDAIN.-Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne.
MADAME JOURDAIN.-Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un maître à danser à l'âge que vous avez.
NICOLE.-Et d'un grand maître tireur d'armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle ?
MONSIEUR JOURDAIN.-Taisez-vous, ma servante, et ma femme.
MADAME JOURDAIN.-Est-ce que vous voulez apprendre à danser, pour quand vous n'aurez plus de jambes ?
NICOLE.-Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un ?
MONSIEUR JOURDAIN.-Taisez-vous, vous dis-je, vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela.